On ne s'Avise Jamais de Tout


Conte tiré des Cent Nouvelles de Jean de La Fontaine

On ne s'avise jamais de tout par Charles Eisen

Illustration de Charles Eisen (1762)



Certain jaloux ne dormant que d'un œil,
Interdisait tout commerce à sa femme.
Dans le dessein de prévenir la Dame,
Il avait fait un fort ample recueil
De tous les tours que le Sexe sait faire.
Pauvre ignorant ! comme si cette affaire
N'était une ydre, à parler franchement !
Il captivait sa femme cependant,
De ses cheveux voulait savoir le nombre,
La faisait suivre, à toute heure, en tous lieux,
Par une Vieille au corps tout rempli d'yeux,
Qui la quittait aussi peu que son ombre.
Ce fou tenait son recueil fort entier :
Il le portait en guise de Psautier,
Croyant par la Cocuage, hors de gamme.
Un jour de Fête, arrive que la Dame,
En revenant de l'Église, passa
Près d'un logis, d'où quelqu'un lui jeta
Fort a propos plein un panier d'ordure.
On s'excusa. La pauvre créature,
Toute vilaine, entra dans le logis.
Il lui fallut dépouiller ses habits.
Elle envoya quérir une autre jupe,
Dès en entrant, par cette Douagna,
Qui hors d'haleine à Monsieur raconta
Tout l'accident.

Il disait bien ; car on n'avait jeté
Cette immondice, et la Dame gâté,
Qu'afin qu'elle eût quelque valable excuse
Pour éloigner son dragon quelque temps.
Un sien Galant, ami de là-dedans,
Tout aussitôt profita de la ruse.
Nous avons beau sur ce Sexe avoir l'œil :
Ce n'est coup sûr encontre tous esclandres.
Maris jaloux, brûlez votre recueil,
Sur ma parole, et faites-en des cendres.

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