La Chose Impossible


Conte de Jean de La Fontaine



Un Démon plus noir que malin,
Fit un charme si souverain
Pour l'Amant de certaine Belle,
Qu'à la fin celui-ci posséda sa cruelle.
Le pact de notre Amant et de l'esprit follet,
Ce fut que le premier jouirait à souhait
De sa charmante inexorable.

Le Galant s'accorde à cela :
Commander, était-ce un mystère ?
Obéir est bien autre affaire.
Sur ce penser-là notre Amant
S'en va trouver sa Belle, en a contentement,
Goûte des voluptés qui n'ont point de pareilles,
Se trouve très heureux, hormis qu'incessamment
Le Diable était à ses oreilles.
Alors l'Amant lui commandait
Tout ce qui lui venait en tête ;
De bâtir des Palais, d'exciter la tempête :
En moins d'un tour de main cela s'accomplissait.
Mainte pistole se glissait
Dans l'escarcelle de notre homme.
Il envoyait le Diable à Rome ;
Le Diable revenait tout chargé de pardons.
Aucuns voyages n'étaient longs,
Aucune chose malaisée.
L'Amant, à force de rêver
Sur les ordres nouveaux qu'il lui fallait trouver,
Vit bientôt sa cervelle usée.
Il s'en plaignit à sa divinité,
Lui dit de bout en bout toute la vérité.

Lors elle lui donna
Je ne sais quoi, qu'elle tira
Du verger de Cypris, labyrinthe des Fées,
Ce qu'un Duc autrefois jugea si précieux,
Qu'il voulut l’honorer d'une Chevalerie ;

L'illustre et noble Confrérie,
Moins pleine d'hommes que de Dieux.
L'Amant dit au Démon :

L'esprit s'en va, n'a point de cesse
Qu'il n'ait mis le fil sous la presse,
Tâché de l'aplatir à grands coups de marteau,
Fait séjourner au fond de l'eau,
Sans que la ligne fût d'un seul point étendue.
De quelque tour qu'il se servît,
Quelque secret qu'il eût, quelque charme qu'il fît,
C'était temps et peine perdue :
Il ne put mettre à la raison
La toison.
Elle se révoltait contre le vent, la pluie,
La neige, le brouillard : plus Satan y touchait,
Moins l'annelure se lâchait.

Messire Diable un beau matin
S'en va trouver son homme, et lui dit :

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