Conte du Pêcheur et du Voyageur


Conte de Jean de La Fontaine



Il y avait une fois un homme qui n'avait pour tout bien qu'une pauvre cabane sur le bord d'une petite rivière : il gagnait sa vie à pêcher du poisson ; mais comme il n'y en avait guère dans cette rivière, il ne gagnait pas grand-chose, et ne vivait presque que de pain et d'eau.

Cependant il était content dans sa pauvreté, parce qu'il ne souhaitait rien que ce qu'il avait. Un jour, il lui prit fantaisie de voir la ville, et il résolut d'y aller le lendemain. Comme il pensait à faire ce voyage, il rencontra un voyageur qui lui demanda s'il y avait bien loin jusqu'à un village, pour trouver une maison où il pût coucher.

Le voyageur accepta sa proposition, et le pêcheur, qui voulait le régaler, alluma du feu, pour faire cuire quelques petits poissons. Pendant qu'il apprêtait le souper, il chantait, il riait et paraissait de fort bonne humeur.

Le pêcheur ayant écouté cette histoire, ne pût s'empêcher d'admirer la folie de cet ambitieux, qui faisait dépendre son bonheur des regards et des paroles du prince.

Le voyageur ne répliqua rien, parce qu'il n'est pas honnête de contredire les gens dans leur maison, et le lendemain il continua son voyage, pendant que le pêcheur commençait le sien. Au bout de deux jours, le voyageur Azaël, qui n'avait rien rencontré d'extraordinaire, revint à la cabane. Il trouva le pêcheur assis devant sa porte, la tête appuyée dans sa main, et les yeux fixés contre terre.

Dans le moment, cet homme qui avait commandé à Azaël de marcher pendant deux jours, et qui était un ange, parut.

Le pêcheur transporté de joie, souhaita que sa cabane fût changée en un palais magnifique, et aussitôt son souhait fut accompli. Le pêcheur, après avoir admiré ce palais, souhaita que la petite rivière qui était devant sa porte, fût changée en une grande mer, et aussitôt son souhait fut accompli. Il lui en restait un troisième à faire ; il y rêva quelque temps, et ensuite il souhaita que la petite barque fût changée en un vaisseau superbe, chargé d'or et de diamants. Aussitôt qu'il vit le vaisseau, il y courut pour admirer les richesses dont il était devenu le maître ; mais à peine y fut-il entré, qu'il s'éleva un grand orage. Le pêcheur voulut revenir au rivage et descendre à terre, mais il n'y avait pas moyen. Ce fut alors qu'il maudit son ambition: regrets inutiles, la mer l'engloutit avec toutes ses richesses, et l'ange dit à Azaël :

Azaël effrayé promit d'obéir à l'ange, et lui tint parole. Il quitta la cour, et vint demeurer à la campagne, où il se maria avec une fille qui avait plus de vertu que de beauté et fortune. Au lieu de chercher à augmenter ses grandes richesses, il ne s'appliqua plus qu'à en jouir avec modération, et à en distribuer le superflu aux pauvres. Il se vit alors heureux et content, et il ne passa aucun jour sans remercier Dieu de l'avoir guéri de l'avarice et de l'ambition, qui avaient jusqu'alors empoisonné tout le bonheur de sa vie.

Imprimer ce Conte

retour haut de page