Le Gascon Puni


Conte de Jean de La Fontaine

Le Gascon Puni par Jean-Baptiste Oudry

Illustration de Jean-Baptiste Oudry (1755)



Un Gascon, pour s'être vanté
De posséder certaine Belle,
Fut puni de sa vanité
D'une façon assez nouvelle.
Il se vantait à faux, et ne possédait rien.
Mais quoi ! tout médisant est Prophète en ce monde :
On croit le mal d'abord ; mais à l'égard du bien,
Il faut que la vue en réponde.
La Dame cependant du Gascon se moquait ;
Même au logis pour lui rarement elle était ;
Et bien souvent qu'il la traitait
D'incomparable et de divine,
La Belle aussitôt s'enfuyait,
S'allant sauver chez sa voisine.
Elle avait nom Philis ; son voisin, Eurilas ;
La voisine, Cloris ; le Gascon, Dorilas ;
Un sien ami, Damon : c'est tout, si j'ai mémoire.
Ce Damon, de Cloris, à ce que dit l'histoire,
Était Amant aimé, Galant, comme on voudra,
Quelque chose de plus encor que tout cela.
Pour Philis, son humeur libre, gaie, et sinccre,
Montrait qu'elle était sans affaire,
Sans secret, et sans passion.
On ignorait le prix de sa possession :
Seulement à l'user chacun la croyait bonne.
Elle approchait vingt ans, et venait d'enterrer un mari.

En mille endroits de sa personne
La Belle avait de quoi mettre un Gascon aux Cieux,
Des attraits par-dessus les yeux,
Je ne sais quel air de pucelle,
Mais le cœur tant soit peu rebelle ;
Rebelle toutefois de la bonne façon :
Voilà Philis. Quant au Gascon,
Il était Gascon, c'est tout dire.

Je laisse à penser si le Sire
Importuna la Veuve, et s'il fit des serments ;
Ceux des Gascons et des Normands
Passent peu pour mots d'Évangile.
C'était pourtant chose facile
De croire Dorilas de Philis amoureux ;
Mais il voulait aussi que l'on le crut heureux.
Philis, dissimulant, dit un jour à cet homme :

Pour se rendre Philis un peu plus favorable,
Le Gascon eut couché, dit-il, avec le Diable.
La nuit vient : on le coiffe ; on le met au grand lit ;
On éteint les flambeaux ; Eurilas prend sa place.
Du Gascon la peur se saisit ;
Il devient aussi froid que glace ;
N'oserait tousser ni cracher,
Beaucoup moins encor s'approcher ;
Se fait petit, se serre, au bord se va nicher,
Et ne tient que moitié de la rive occupée :
Je crois qu'on l'aurait mis dans un fourreau d'epée.
Son coucheur cette nuit se retourna cent fois,
Et jusque sur le nez lui passa certains doigts
Que la peur lui fit trouver rudes.
Le pis de ses inquiétudes,
C'est qu'il craignait qu'enfin un caprice amoureux
Ne prît à ce mari : tels cas sont dangereux,
Lorsque l'un des conjoints se sent privé du somme.
Toujours nouveaux sujets alarmaient le pauvre homme :
L'on étendait un pied, l'on approchait un bras ;
Il crut meme sentir la barbe d'Eurilas.
Mais voici quelque chose à mon sens de terrible :
Une sonnette était près du chevet du lit ;
Eurilas de sonner, et faire un bruit horrible.
Le Gascon se pâme à ce bruit,
Cette fois-lr se croit détruit,
Fait un vœu, renonce à sa Dame,
Et songe au salut de son âme.
Personne ne venant, Eurilas s'endormit.

Avant qu'il fut jour, on ouvrit :
Philis l'avait promis ; quand voici de plus belle
Un flambeau, comble de tous maux.
Le Gascon, après ces travaux,
Se fut bien levé sans chandelle.
Sa perte était alors un point tout assuré.
On approche du lit. Le pauvre homme éclairé
Prie Eurilas qu'il lui pardonne.

D'un ton de voix rempli d'appas.
C'était Philis, qui d'Eurilas
Avait tenu la place, et qui, sans trop attendre,
Tout en chemise s'alla rendre
Dans les bras de Cloris : qu'accompagnait Damon ;
C'était, dis-je, Philis, qui conta du Gascon
La peine et la frayeur extrême ;
Et qui, pour l'obliger à se tuer soi-même,
En lui montrant ce qu'il avait perdu,
Laissait son sein à demi nu.

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