Le Savetier
Illustration de
Charles Eisen
(1762)
Un Savetier, que nous nommerons Blaise,
Prit belle femme, et fut très avisé.
Les bonnes gens qui n'étaient à leur aise,
S'en vont prier un Marchand peu rusé,
Qu'il leur prêtât, dessous bonne promesse,
Mi-muid de grain ; ce que le Marchand fait.
Le terme échu, ce créancier les presse,
Dieu sait pourquoi : le Galant, en effet,
Crut que par là baiserait la Commère.
-
" Vous avez trop de quoi me satisfaire,
Celui dit-il, et sans débourser rien :
Accordez-moi ce que vous savez bien.
-
- Je songerai, répond-elle, à la chose. "
Puis vient trouver Blaise tout aussitôt,
L'avertissant de ce qu'on lui propose.
Blaise lui dit :
-
" Parbieu ! femme, il nous faut
Sans coup férir, rattraper notre somme.
Tout de ce pas allez dire à cet homme
Qu'il peut venir, et que je n'y suis point.
Je veux ici me cacher tout à point.
Avant le coup demandez la cédule ;
De la donner je ne crois qu'il recule ;
Puis tousserez, afin de m'avertir,
Mais haut et clair, et plutôt deux fois qu'une.
Lors de mon coin vous me verrez sortir
Incontinent, de crainte de fortune. "
Ainsi fut dit, ainsi s'exécuta,
Dont le Mari puis après se vanta ;
Si que chacun glosait sur ce mystère.
-
" Mieux eût valu tousser après l'affaire,
Dit à la Belle un des plus gros Bourgeois ;
Vous eussiez eu votre compte tous trois.
N'y manquez plus, sauf après de se taire.
Mais qu'en est-il, or çà, Belle, entre nous ? "
Elle répond :
-
" Ah ! Monsieur, croyez-vous
Que nous ayons tant d'esprit que vos Dames ? "
Notez qu'illec avec deux autres femmes,
Du gros Bourgeois l'Épouse était aussi.
-
" Je pense bien, continua la Belle,
Qu'en pareil cas Madame en use ainsi :
Mais quoi ! chacun n'est pas si sage qu'elle. "
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