Correspondancesde personnages historiques

Cinna
ou la Clémence d'Auguste

de Pierre Corneille

 

 

Les personnages

La scène se déroule à Rome

 

 

Acte I
Acte II
Acte III
Acte IV
Acte V

Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV

Scène I
Scène II

Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V

Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI

Scène I
Scène II
Scène III

ACTE I, SCÈNE PREMIÈRE

Émilie

 

Émilie
Impatients désirs d'une illustre vengeance

Dont la mort d'un père a formé la naissance,
Enfants impétueux de mon ressentiment,
Que ma douleur séduite embrasse aveuglément,
Vous prenez sur mon âme un trop puissant empire :
Durant quelques moments souffrez que je respire,
Et que je considère, en l'état où je suis,
Et ce que je hasarde, et ce que je poursuis.
Quand je regarde Auguste au milieu de sa gloire,
Et que vous reprochez à ma triste mémoire
Que par sa propre main mon père massacré
Du trône où je le voie fait le premier degré ;
Quand vous me présentez cette sanglante image,
La cause de ma haine, et l'effet de sa rage,
Je m'abandonne toute à vos ardents transports,
Et crois pour une mort lui devoir mille morts.
Au milieu toutefois d'une fureur si juste,
J'aime encor plus Cinna que je ne hais Auguste,
Et je sens refroidir ce bouillant mouvement,
Quand il faut pour le suivre exposer mon amant.
Oui, Cinna, contre moi moi-même je m'irrite
Quand je songe aux dangers où je te précipite,
Quoique pour me servir tu n'appréhendes rien,
Te demander du sang, c'est exposer le tien.
D'une si haute place on n'abat point de têtes,
Sans attirer sur soi mille et mille tempêtes,
L'issue en est douteuse, et le péril certain :
Un ami déloyal peut trahir ton dessein,
L'ordre mal concerté, l'occasion mal prise,
Peuvent dessus son auteur renverser l'entreprise,
Tourner sur toi les coups dont tu le veux frapper,
Dans sa ruine même il peut t'envelopper,
Et quoi qu'en ma faveur ton amour exécute,
Il te peut en tombant écraser sous sa chute.
Ah ! Cesse de courir à ce mortel danger,
Te perdre en me vengeant, ce n'est pas me venger,
Un cœur est trop cruel quand il trouve des charmes
Aux douceurs que corrompt l'amertume des larmes,
Et l'on doit mettre au rang des plus cuisants malheurs
La mort d'un ennemi qui nous coûte des pleurs.
Mais peut-on en verser alors qu'on venge un père ?
Est-il perte à ce prix qui ne semble légère ?
Et quand son assassin tombe sous notre effort,
Doit-on considérer ce que coûte sa mort ?
Cessez, vaines frayeurs, cessez, lâches tendresses,
De jeter dans mon cœur vos indignes faiblesses ;
Et toi qui les produis par tes soins superflus,
Amour, sers mon devoir, et ne le combats plus.
Lui céder c'est ta gloire, et le vaincre, ta honte,
Montre-toi généreux souffrant qu'il te surmonte,
Plus tu lui donneras, plus il te va donner,
Et ne triomphera que pour te couronner.

 

 


ACTE I, SCÈNE II

Émilie - Fulvie

 

Émilie
Je l'ai juré, Fulvie, et je le jure encore,

Quoique j'aime Cinna, quoique mon cœur l'adore,
S'il me veut posséder, Auguste doit périr,
Sa tête est le seul prix dont il peut m'acquérir,
Je lui prescris la loi que mon devoir m'impose.


Fulvie
Elle a pour la blâmer une trop juste cause,

Par un si grand dessein vous vous faites juger
Digne sang de celui que vous voulez venger :
Mais encor une fois souffrez que je vous die
Qu'une si juste ardeur devrait être attiédie.
Auguste chaque jour à force de bienfaits
Semble assez réparer les maux qu'il vous a faits ;
Sa faveur envers vous paraît si déclarée,
Que vous êtes chez lui la plus considérée,
Et de ses courtisans souvent les plus heureux
Vous pressent à genoux de lui parler pour eux.


Émilie
Toute cette faveur ne me rend pas mon père,

Et de quelque façon que l'on me considère,
Abondante en richesse ou puissante en crédit,
Je demeure toujours la fille d'un proscrit.
Les bienfaits ne font pas toujours ce que tu penses,
D'une main odieuse ils tiennent lieu d'offenses,
Plus nous en prodiguons à qui nous peut haïr,
Plus d'armes nous donnons à qui nous veut trahir.
Il m'en fait chaque jour sans changer mon courage,
Je suis ce que j'étais, et je puis davantage,
Et des mêmes présents qu'il verse dans mes mains
J'achète contre lui les esprits des Romains.
Je recevrais de lui la place de Livie
Comme un moyen plus sûr d'attenter à sa vie,
Pour qui venge son père il n'est point de forfaits,
Et c'est vendre son sang que se rendre aux bienfaits.

 

Fulvie
Quel besoin toutefois de passer pour ingrate ?

Ne pouvez-vous haïr sans que la haine éclate ?
Assez d'autres sans vous n'ont pas mis en oubli
Par quelles cruautés son trône est établi ;
Tant de braves Romains, tant d'illustres victimes
Qu'à son ambition ont immolé ses crimes,
Laissent à leurs enfants d'assez vives douleurs,
Pour venger votre perte en vengeant leurs malheurs.
Beaucoup l'ont entrepris, mille autres vont les suivre,
Qui vit haï de tous, ne saurait longtemps vivre,
Remettez à leurs bras les communs intérêts,
Et n'aidez leurs desseins que par des vœux secrets.


Émilie
Quoi ? Je le haïrai sans tâcher de lui nuire ?

J'attendrai du hasard qu'il ose le détruire,
Et je satisferai des devoirs si pressants
Par une haine obscure, et des vœux impuissants ?
Sa perte que je veux me deviendrait amère
Si quelqu'un l'immolait à d'autres qu'à mon père ;
Et tu verrais mes pleurs couler pour son trépas,
Qui le faisant périr ne me vengerait pas.
C'est une lâcheté que de remettre à d'autres
Les intérêts publics qui s'attachent aux nôtres.
Joignons à la douceur de venger nos parents
La gloire qu'on remporte à punir les tyrans,
Et faisons publier par toute l'Italie,
La liberté de Rome est l'œuvre d'Émilie,
On a touché son âme, et son cœur s'est épris,
Mais elle n'a donné son amour qu'à ce prix.


Fulvie
Votre amour à ce prix n'est qu'un présent funeste

Qui porte à votre amant sa perte manifeste.
Pensez mieux, Émilie, à quoi vous l'exposez,
Combien à cet écueil se sont déjà brisés,
Ne vous aveuglez point quand sa mort est visible.


Émilie
Ah ! Tu sais me frapper par où je suis sensible,

Quand je songe aux dangers que je lui fais courir,
La crainte de sa mort me fait déjà mourir,
Mon esprit en désordre à soi-même s'oppose,
Je veux, et ne veux pas, je m'emporte, et je n'ose,
Et mon devoir confus, languissant, étonné,
Cède aux rébellions de mon cœur mutiné.
Tout beau, ma passion, deviens un peu moins forte,
Tu vois bien des hasards, ils sont grands, mais n'importe,
Cinna n'est pas perdu pour être hasardé,
De quelques légions qu'Auguste soit gardé,
Quelque soin qu'il se donne, et quelque ordre qu'il tienne,
Qui méprise sa vie est maître de la sienne,
Plus le péril est grand, plus doux en est le fruit,
La vertu nous y jette, et la gloire le suit.
Quoi qu'il en soit, qu'Auguste, ou que Cinna périsse,
Aux Mânes paternels je dois ce sacrifice,
Cinna me l'a promis en recevant ma foi,
Et ce coup seul aussi le rend digne de moi.
Il est tard après tout de m'en vouloir dédire,
Aujourd'hui l'on s'assemble, aujourd'hui l'on conspire,
L'heure, le lieu, le bras se choisit aujourd'hui,

Et c'est à faire enfin à mourir après lui.

 

 


ACTE I, SCÈNE III

Cinna - Émilie - Fulvie

 

Émilie
Mais le voici qui vient. Cinna, votre assemblée
Par l'effroi
du péril n'est-elle point troublée,
Et reconnaissez-vous au front de vos amis
Qu'ils soient prêts à tenir ce qu'ils vous ont promis ?


Cinna
Jamais contre un tyran entreprise conçue
Ne permit d'espérer une si belle issue,
Jamais de telle ardeur on n'en jura sa mort,
Et jamais conjurés ne furent mieux d'accord.
Tous s'y montrent portés avec tant d'allégresse
Qu'ils semblent comme moi, servir une maîtresse ;
Et tous font éclater un si puissant courroux,
Qu'ils semblent tous venger un père comme vous.


Émilie
Je l'avais bien prévu, que pour un tel ouvrage
Cinna saurait choisir des hommes de courage,
Et ne remettrait pas en de mauvaises mains
L'intérêt d'Émilie, et celui des Romains.


Cinna
Plût aux Dieux que vous-même eussiez vu de quel zèle
Cette troupe entreprend une action si belle !
Au seul nom de César, d'Auguste, et d'Empereur,
Vous eussiez vu leurs yeux s'allumer de fureur,
Et dans un même instant par un effet contraire
Leur front pâlir d'horreur, et rougir de colère.
Amis, leur ai-je dit, voici le jour heureux
Qui doit conclure enfin nos desseins généreux,
Le ciel entre nos mains a mis le sort de Rome,
Et son salut dépend de la perte d'un homme,
Si l'on doit le nom d'homme à qui n'a rien d'humain,
Á ce Tigre altéré de tout le sang Romain.
Combien pour le répandre a-t-il formé de brigues ?
Combien de fois changé de partis, et de ligues,
Tantôt ami d'Antoine, et tantôt ennemi,
Et jamais insolent ni cruel à demi ?

Là par un long récit de toutes les misères
Que durant notre enfance ont enduré nos pères,
Renouvelant leur haine avec leur souvenir,
Je redouble en leurs cœurs l'ardeur de le punir.
Je leur fais des tableaux de ces tristes batailles
Où Rome par ses mains déchirait ses entrailles,
Où l'Aigle abattait l'Aigle, et de chaque côté
Nos légions s'armaient contre leur liberté ;
Où les meilleurs soldats, et des chefs les plus braves
Mettaient toute leur gloire à devenir esclaves ;
Où pour mieux assurer la honte de leurs fers,
Tous voulaient à leur chaîne attacher l'Univers,
Et l'exécrable honneur de lui donner un maître
Faisant aimer à tous l'infâme nom de traître,
Romains contre Romains, parents contre parents,
Combattaient seulement pour le choix des tyrans.
J'ajoute à ces tableaux la peinture effroyable
De leur concorde impie, affreuse, inexorable,
Funeste aux gens de bien, aux riches, au Sénat,
Et pour tout dire enfin, de leur Trium-virat.
Mais je ne trouve point de couleurs assez noires
Pour en représenter les Tragiques histoires.
Je les peins dans le meurtre à l'envi triomphants,
Rome entière noyée au sang de ses enfants,
Les uns assassinés dans les Places publiques,
Les autres dans le sein de leurs Dieux domestiques,
Le méchant par le prix au crime encouragé,
Le mari par sa femme en son lit égorgé,
Le fils tout dégouttant du meurtre de son père,
Et sa tête à la main demandant son salaire,
Sans pouvoir exprimer par tant d'horribles traits,
Qu'un crayon imparfait de leur sanglante paix.
Vous dirai-je les noms de ces grands personnages
Dont j'ai dépeint les morts pour aigrir les courages,
De ces fameux Proscrits, ces demi-Dieux mortels,
Qu'on a sacrifiés jusque sur les autels ?
Mais pourrais-je vous dire à quelle impatience,
Á quels frémissements, à quelle violence,
Ces indignes trépas, quoique mal figurés,
Ont porté les esprits de tous nos conjurés ?
Je n'ai point perdu temps, et voyant leur colère
Au point de ne rien craindre, en état de tout faire,
J'ajoute en peu de mots : Toutes ces cruautés,
La perte de nos biens et de nos libertés,
Le ravage des champs, le pillage des villes,
Et les proscriptions, et les guerres civiles,
Sont les degrés sanglants dont Auguste a fait choix
Pour monter dans le trône et nous donner des lois :
Mais nous pouvons changer un Destin si funeste ;
Puisque de trois Tyrans c'est le seul qui nous reste,
Et que juste une fois il s'est privé d' appui
Perdant, pour régner seul, deux méchants comme lui.
Lui mort, nous n'avons point de vengeur, ni de maître.
Avec la liberté Rome s'en va renaître,
Et nous mériterons le nom de vrais Romains
Si le joug qui l'accable est brisé par nos mains.
Prenons l'occasion tandis qu' elle est propice,
Demain au Capitole il fait un sacrifice,
qu'il en soit la victime, et faisons en ces lieux
Justice à tout le Monde à la face des Dieux.
Là presque pour sa suite il n'a que notre troupe,
C'est de ma main qu' il prend et l'encens et la coupe,
Et je veux pour signal que cette même main
Lui donne au lieu d'encens d'un poignard dans le sein.
Ainsi d'un coup mortel la victime frappée
Fera voir si je suis du sang du grand Pompée,
Faites voir après moi si vous vous souvenez
Des illustres aïeux de qui vous êtes nés.

Á peine ai-je achevé, que chacun renouvelle
Par un noble serment le vœu d'être fidèle,
L'occasion leur plaît, mais chacun veut pour soi
L'honneur du premier coup que j'ai choisi pour moi.
La raison règle enfin l'ardeur qui les emporte,
Maxime et la moitié s'assurent de la porte,
L'autre moitié me suit, et doit l'environner,
Prête au moindre signal que je voudrai donner.
Voilà, belle Émilie, à quel point nous en sommes,
Demain j'attends la haine, ou la faveur des hommes,
Le nom de parricide, ou de libérateur,
César celui de Prince, ou bien d'usurpateur.
Du succès qu'on obtient contre la Tyrannie
Dépend, ou notre gloire, ou notre ignominie,
Et le peuple inégal à l'endroit des Tyrans,
S'il les déteste morts, les adore vivants.
Pour moi, soit que le Ciel me soit dur, ou propice,
Qu'il m'élève à la gloire, ou me livre au supplice,
Que Rome se déclare, ou pour, ou contre nous,
Mourant pour vous servir tout me semblera doux.


Émilie
Ne crains point de succès qui souille ta mémoire,
Le bon et le mauvais sont égaux pour ta gloire,
Et dans un tel dessein, le manque de bonheur
Met en péril ta vie, et non pas ton honneur.
Regarde le malheur de Brute et de Cassie.
La splendeur de leurs noms en est-elle obscurcie ?
Sont-ils morts entiers avec leurs grands desseins ?
Ne les conte-t'on plus pour les derniers Romains ?
Leur mémoire dans Rome est encor précieuse,
Autant que de César la vie est odieuse :
Si leur vainqueur y règne, ils y sont regrettés,
Et par les voeux de tous leurs pareils souhaités.
Va marcher sur leurs pas où l'honneur te convie,
Mais ne perds pas le soin de conserver ta vie,
Souviens-toi du beau feu dont nous sommes épris,
Qu'aussi bien que la gloire Émilie est ton prix,
Que tu me dois ton cœur, que mes faveurs t'attendent,
Que tes jours me sont chers, que les miens en dépendent,
Et quelle occasion mène Évandre vers nous ?

 

 

 

ACTE I, SCÈNE IV

Cinna - Émilie - Évandre - Fulvie

 

Évandre
Seigneur, César vous mande, et Maxime avec vous.


Cinna
Et Maxime avec moi ? Le sais-tu bien, Évandre ?


Évandre
Polyclète est encor chez vous à vous attendre,
Et fût venu lui-même avec moi vous chercher,
Si ma dextérité n'eût su l'en empêcher.
Je vous en donne avis de peur d'une surprise,
Il presse fort.


Émilie
Mander les chefs de l'entreprise !
Tous deux ! En même temps ! Vous êtes découverts.


Cinna
Espérons mieux, de grâce.


Émilie
Ah ! Cinna, je te perds,
Et les Dieux, obstinés à nous donner un maître
Parmi tes vrais amis ont mêlé quelque traître.
Il n'en faut point douter, Auguste a tout appris ;
Quoi, tous deux ! Et sitôt que le conseil est pris !


Cinna
Je ne vous puis celer que son ordre m'étonne,
Mais souvent il m'appelle auprès de sa personne,
Maxime est comme moi de ses plus confidents,
Et nous nous alarmons peut-être en imprudents.


Émilie
Sois moins ingénieux à te tromper toi-même,
Cinna, ne porte point mes maux jusqu'à l'extrême,
Et puisque désormais tu ne peux me venger,
Dérobe au moins ta tête à ce mortel danger,
Fuis d'Auguste irrité l'implacable colère ;
Je verse assez de pleurs pour la mort de mon père,
N'aigris point ma douleur par un nouveau tourment,
Et ne lui permets point de m'ôter mon amant.


Cinna
Quoi ! Sur l'illusion d'une terreur Panique
Trahir vos intérêts et la cause publique !
Par cette lâcheté moi-même m'accuser,
Et tout abandonner quand il faut tout oser !
Que feront nos amis si vous êtes déçue ?


Émilie
Mais que deviendras-tu si l'entreprise est sue ?


Cinna
S'il est pour me trahir des esprits assez bas,
Ma vertu pour le moins ne me trahira pas,
Vous la verrez brillante au bord des précipices
Se couronner de gloire en bravant les supplices,
Rendre Auguste jaloux du sang qu'il répandra,
Et le faire trembler alors qu'il me perdra.
Je deviendrais suspect à tarder davantage,
Adieu, raffermissez ce généreux courage.
S'il faut subir le coup d'un destin rigoureux,
Je mourrai tout ensemble heureux et malheureux,
Heureux pour vous servir de perdre ainsi la vie,
Malheureux de mourir sans vous avoir servie.


Émilie
Oui, va, n'écoute plus ma voix qui te retient,
Mon trouble se dissipe et ma raison revient,
Pardonne à mon amour cette indigne faiblesse,
Tu voudrais fuir en vain, Cinna, je le confesse,
Si tout est découvert Auguste a su pourvoir
Á ne te laisser pas ta fuite en ton pouvoir.
Porte, porte chez lui cette mâle assurance
Digne de notre amour, digne de ta naissance,
Meurs, s'il y faut mourir, en Citoyen Romain,
Et par un beau trépas couronne un beau dessein.
Ne crains pas qu'après toi rien ici me retienne,
Ta mort emportera mon âme vers la tienne,
Et mon cœur aussitôt percé des mêmes coups...


Cinna
Ah ! Souffrez que tout mort je vive encore en vous,
Et du moins en mourant permettez que j'espère
Que vous saurez venger l'amant avec le père.
Rien n'est pour vous à craindre, aucun de nos amis
Ne sait ni vos desseins, ni ce qui m'est promis,
Et leur parlant tantôt les misères Romaines
Je leur ai tu la mort qui fait naître nos haines,
De peur que trop d'ardeur touchant vos intérêts
D'un si parfait amour ne trahit les secrets.
Il n'est su que d'Évandre et de votre Fulvie.


Émilie
Avec moins de frayeur je vais donc chez Livie,
Puisque dans ton péril il me reste un moyen
De faire agir pour toi son crédit et le mien.
Mais si mon amitié par là ne te délivre,
N'espère pas qu'enfin je veuille te survivre,
Je fais de ton destin des règles à mon sort,
Et j'obtiendrai ta vie, ou je suivrai ta mort.


Cinna
Soyez en ma faveur moins cruelle à vous-même.


Émilie
Va-t'en, et souviens-toi seulement que je t'aime.

 

 

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