Correspondancesde personnages historiques

Polyeucte Martyr

de Pierre Corneille

 

Les personnages

La scène se déroule à Mélitène, capitale d'Arménie, dans le Palais de Félix

 

 

 

Acte I
Acte II
Acte III
Acte IV
Acte V

Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV

Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI

Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V

Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI

Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI

ACTE I, SCÈNE PREMIÈRE

Polyeucte - Néarque

 

Néarque
Quoi ? Vous vous arrêtez aux songes d'une femme !
De si faibles sujets troublent cette grande âme !
Et ce cœur tant de fois dans la guerre éprouvé
S'alarme d'un péril qu'une femme a rêvé !


Polyeucte
Je sais ce qu'est un songe, et le peu de croyance
Qu'un homme doit donner à son extravagance,
Qui d'un amas confus des vapeurs de la nuit
Forme de vains objets que le réveil détruit.
Mais vous ne savez pas ce que c'est qu'une femme,
Vous ignorez quels droits elle a sur toute l'âme,
Quand après un long temps qu'elle a su nous charmer
Les flambeaux de l'Hymen viennent de s'allumer.
Pauline sans raison dans la douleur plongée
Craint et croit déjà voir ma mort qu'elle a songée,
Elle oppose ses pleurs au dessein que je fais,
Et tâche à m'empêcher de sortir du Palais ;
Je méprise sa crainte, et je cède à ses larmes,
Elle me fait pitié sans me donner d'alarmes,
Et mon cœur attendri sans être intimidé
N'ose déplaire aux yeux dont il est possédé.
L'occasion, Néarque, est-elle si pressante,
Qu'il faille être insensible aux soupirs d'une amante ?
Par un peu de remise épargnons son ennui,
Pour faire en plein repos ce qu'il trouble aujourd'hui.


Néarque
Avez-vous cependant une pleine assurance
D'avoir assez de vie, ou de persévérance,
Et Dieu, qui tient votre âme, et vos jours dans sa main,
Promet-il à vos vœux de le pouvoir demain ?
Il est toujours tout juste et tout bon, mais sa grâce
Ne descend pas toujours avec même efficace :
Après certains moments que perdent nos longueurs,
Elle quitte ces traits qui pénètrent les cœurs,
Le nôtre s'endurcit, la repousse, l'égare,
Le bras qui la versait en devient plus avare,
Et cette sainte ardeur qui doit porter au bien
Tombe plus rarement, ou n'opère plus rien.
Celle qui vous pressait de courir au baptême
Languissante déjà, cesse d'être la même,
Et pour quelques soupirs qu'on vous a fait ouïr,
Sa flamme se dissipe, et va s'évanouir.


Polyeucte
Vous me connaissez mal, la même ardeur me brûle,
Et le désir s'accroît quand l'effet se recule.
Ces pleurs que je regarde avec un œil d'époux
Me laissent dans le cœur aussi chrétien que vous ;
Mais pour en recevoir le sacré caractère
Qui lave nos forfaits dans une eau salutaire,
Et qui purgeant notre âme, et dessillant nos yeux,
Nous rend le premier droit que nous avions aux Cieux,
Bien que je le préfère aux grandeurs d'un Empire,
Comme le bien suprême et le seul où j'aspire,
Je crois, pour satisfaire un juste et saint amour,
Pouvoir un peu remettre, et différer d'un jour.


Néarque
Ainsi du genre humain l'ennemi vous abuse,
Ce qu'il ne peut de force, il l'entreprend de ruse.
Jaloux des bons desseins qu'il tâche d'ébranler,
Quand il ne les peut rompre, il pousse à reculer :
D'obstacle sur obstacle il va troubler le vôtre,
Aujourd'hui par des pleurs, chaque jour par quelqu'autre ;
Et ce songe rempli de noires visions
N'est que le coup d'essai de ses illusions :
Il met tout en usage, et prière, et menace,
Il attaque toujours, et jamais ne se lasse,
Il croit pouvoir enfin ce qu'encore il n'a pu,
Et que ce qu'on diffère est à demi rompu.
Rompez ses premiers coups, laissez pleurer Pauline,
Dieu ne veut point d'un cœur où le Monde domine,
Qui regarde en arrière, et douteux en son choix,
Lorsque sa voix l'appelle, écoute une autre voix.


Polyeucte
Pour se donner à lui faut-il n'aimer personne ?


Néarque
Nous pouvons tout aimer, il le souffre, il l'ordonne,
Mais à vous dire tout, ce Seigneur des Seigneurs
Veut le premier amour, et les premiers honneurs.
Comme rien n'est égal à sa grandeur suprême,
Il faut ne rien aimer qu'après lui, qu'en lui-même,
Négliger pour lui plaire, et femme, et biens, et rang,
Exposer pour sa gloire, et verser tout son sang :
Mais que vous êtes loin de cet amour parfait
Qui vous est nécessaire, et que je vous souhaite !
Je ne puis vous parler que les larmes aux yeux,
Polyeucte, aujourd'hui qu'on nous hait en tous lieux,
Qu'on croit servir l'État quand on nous persécute,
Qu'aux plus âpres tourments un Chrétien est en butte,
Comment en pourrez-vous surmonter les douleurs,
Si vous ne pouvez pas résister à des pleurs ?


Polyeucte
Vous ne m'étonnez point, la pitié qui me blesse
Sied bien aux plus grands cœurs, et n'a point de faiblesse.
Sur mes pareils, Néarque, un bel œil est bien fort,
Tel craint de le fâcher qui ne craint pas la mort,
Et s'il faut affronter les plus cruels supplices,
Y trouver des appas, en faire mes délices,
Votre Dieu, que je n'ose encor nommer le mien,
M'en donnera la force en me faisant Chrétien.


Néarque
Hâtez-vous donc de l'être.


Polyeucte
Oui, j'y cours, cher Néarque,
Je brûle d'en porter la glorieuse marque,
Mais Pauline s'afflige, et ne peut consentir,
Tant ce songe la trouble, à me laisser sortir.


Néarque
Votre retour pour elle en aura plus de charmes,
Dans une heure au plus tard vous essuierez ses larmes,
Et l'heur de vous revoir lui semblera plus doux,
Plus elle aura pleuré pour un si cher époux.
Allons, on nous attend.


Polyeucte
Apaisez donc sa crainte,
Et calmez la douleur dont son âme est atteinte.
Elle revient.


Néarque
Fuyez.


Polyeucte
Je ne puis.


Néarque
Il le faut,
Fuyez un ennemi qui sait votre défaut,
Qui le trouve aisément, qui blesse par la vue,
Et dont le coup mortel vous plaît quand il vous tue.

 

 


ACTE I, SCÈNE II

Polyeucte - Néarque - Pauline - Stratonice

 

Polyeucte
Fuyons, puisqu'il le faut. Adieu, Pauline, Adieu,
Dans une heure au plus tard je reviens en ce lieu.


Pauline
Quel sujet si pressant à sortir vous convie ?
Y va-t-il de l'honneur ? Y va-t-il de la vie ?


Polyeucte
Il y va de bien plus.


Pauline
Quel est donc ce secret ?


Polyeucte
Vous le saurez un jour, je vous quitte à regret,
Mais enfin il le faut.


Pauline
Vous m'aimez ?


Polyeucte
Je vous aime,
Le Ciel m'en soit témoin, cent fois plus que moi-même,
Mais...


Pauline
Mais mon déplaisir ne vous peut émouvoir !
Vous avez des secrets que je ne puis savoir !
Quelle preuve d'amour ! Au nom de l'Hyménée
Donnez à mes soupirs cette seule journée.


Polyeucte
Un songe vous fait peur !


Pauline
Ses présages sont vains,
Je le sais ; mais enfin je vous aime, et je crains.


Polyeucte
Ne craignez rien de mal pour une heure d'absence,
Adieu, vos pleurs sur moi prennent trop de puissance,
Je sens déjà mon cœur prêt à se révolter,
Et ce n'est qu'en fuyant que j' y puis résister.

 

 


ACTE I, SCÈNE III

Pauline - Stratonice

 

Pauline
Va, néglige mes pleurs, cours, et te précipite
Au-devant de la mort que les dieux m'ont prédite,
Suis cet Agent fatal de tes mauvais Destins,
Qui peut-être te livre aux mains des assassins.
Tu vois, ma Stratonice, en quel siècle nous sommes,
Voilà notre pouvoir sur les esprits des hommes,
Voilà ce qui nous reste, et l'ordinaire effet
De l'amour qu'on nous offre, et des vœux qu'on nous fait.
Tant qu'ils ne sont qu'amants nous sommes souveraines,
Et jusqu' à la conquête ils nous traitent de Reines,
Mais après l'Hyménée ils sont Rois à leur tour.


Stratonice
Polyeucte pour vous ne manque point d'amour.
S'il ne vous traite ici d'entière confidence,
S'il part malgré vos pleurs, c'est un trait de prudence,
Sans vous en affliger, présumez avec moi
Qu'il est plus à propos qu'il vous cèle pourquoi,
Assurez-vous sur lui qu'il en a juste cause.
Il est bon qu'un mari nous cache quelque chose,
Qu'il soit quelquefois libre, et ne s'abaisse pas
À nous rendre toujours compte de tous ses pas.
On n'a tous deux qu'un cœur qui sent mêmes traverses,
Mais ce cœur a pourtant ses fonctions diverses,
Et la loi de l'Hymen qui vous tient assemblés
N'ordonne pas qu'il tremble alors que vous tremblez.
Ce qui fait vos frayeurs ne peut le mettre en peine,
Il est Arménien, et vous êtes Romaine,
Et vous pouvez savoir que nos deux Nations
N'ont pas sur ce sujet mêmes impressions.
Un songe en notre esprit passe pour ridicule,
Il ne nous laisse espoir, ni crainte, ni scrupule,
Mais il passe dans Rome avec autorité
Pour fidèle miroir de la fatalité.


Pauline
Quelque peu de crédit qu'entre vous il obtienne,
Je crois que ta frayeur égalerait la mienne,
Si de telles horreurs t'avoient frappé l'esprit,
Si je t'en avais fait seulement le récit.


Stratonice
À raconter ses maux souvent on les soulage.


Pauline
Écoute, mais il faut te dire davantage,
Et que pour mieux comprendre un si triste discours,
Tu saches ma faiblesse et mes autres amours.
Une femme d'honneur peut avouer sans honte
Ces surprises des sens que la raison surmonte,
Ce n'est qu'en ces assauts qu'éclate la vertu,
Et l'on doute d'un cœur qui n'a point combattu.
Dans Rome où je naquis ce malheureux visage
D'un Chevalier Romain captiva le courage,
Il s'appelait Sévère. Excuse les soupirs
Qu'arrache encore un nom trop cher à mes désirs.


Stratonice
Est-ce lui qui naguère aux dépens de sa vie
Sauva des ennemis votre Empereur Décie,
Qui leur tira mourant la victoire des mains,
Et fit tourner le Sort des Perses aux Romains ?
Lui qu'entre tant de morts immolés à son Maître,
On ne pu rencontrer, ou du moins reconnaître,
À qui Décie enfin pour des exploits si beaux
Fit si pompeusement dresser de vains tombeaux ?


Pauline
Hélas ! C'était lui-même, et jamais notre Rome
N'a produit plus grand cœur, ni vu plus honnête homme.
Puisque tu le connais, je ne t'en dirai rien.
Je l'aimai, Stratonice, il le méritait bien ;
Mais que sert le mérite où manque la fortune ?
L'un était grand en lui, l'autre faible et commune :
Trop invincible obstacle, et dont trop rarement
Triomphe auprès d'un père un vertueux amant.


Stratonice
La digne occasion d'une rare constance !


Pauline
Dis plutôt d'une indigne et folle résistance,
Quelque fruit qu'une fille en puisse recueillir,
Ce n'est une vertu que pour qui veut faillir.
Parmi ce grand amour que j'avais pour Sévère
J'attendais un époux de la main de mon père.
Toujours prête à le prendre, et jamais ma raison
N'avoua de mes yeux l'aimable trahison.
Il possédait mon cœur, mes désirs, ma pensée,
Je ne lui cachais point combien j'étais blessée,
Nous soupirions ensemble et pleurions nos malheurs,
Mais au lieu d'espérance il n'avait que des pleurs,
Et malgré des soupirs si doux, si favorables,
Mon père et mon devoir étaient inexorables.
Enfin je quittai Rome et ce parfait amant,
Pour suivre ici mon père en son Gouvernement,
Et lui désespéré
s'en alla dans l'Armée
Chercher d'un beau trépas l'illustre renommée.
Le reste, tu le sais : mon abord en ces lieux
Me fit voir Polyeucte, et je plus à ses yeux,
Et comme il est ici le Chef de la Noblesse,
Mon père fut ravi qu'il me prît pour Maîtresse,
Et par son alliance il se crut assurer
D'être plus redoutable, et plus considéré.
Il approuva sa flamme, et conclut l'Hyménée,
Et moi, comme à son lit je me vis destinée,
Je donnai par devoir à son affection
Tout ce que l'autre avait par inclination :
Si tu peux en douter, juge-le par la crainte
Dont en ce triste jour tu me vois l'âme atteinte.


Stratonice
Elle fait assez voir à quel point vous l'aimez :
Mais quel songe après tout tient vos sens alarmés ?


Pauline
Je l'ai vu cette nuit, ce malheureux Sévère,
La vengeance à la main, l'œil ardent de colère.
Il n'était point couvert de ces tristes lambeaux,
Qu'une Ombre désolée emporte des tombeaux,
Il n'était point percé de ces coups pleins de gloire
Qui retranchant sa vie assurent sa mémoire,
Il semblait triomphant, et tel que sur son char
Victorieux dans Rome entre notre César.
Après un peu d'effroi que m'a donné sa vue,
Porte à qui tu voudras la faveur qui m'est due,
Ingrate,
m'a-t-il dit, et ce jour expiré
Pleure à loisir l'époux que tu m'as préféré.

À ces mots, j'ai frémi, mon âme s'est troublée,
Ensuite, des Chrétiens une impie assemblée,
Pour avancer l'effet de ce discours fatal,
A jeté Polyeucte aux pieds de son rival.
Soudain à son secours j'ai réclamé mon père,
Hélas ! C'est de tout point ce qui me désespère,
J'ai vu mon père même un poignard à la main
Entrer le bras levé pour lui percer le sein.
Là ma douleur trop forte a brouillé ces images,
Le sang de Polyeucte a satisfait leurs rages,
Je ne sais, ni comment, ni quand ils l'ont tué,
Mais je sais qu'à sa mort tous ont contribué.
Voilà quel est mon songe.


Stratonice
Il est vrai qu'il est triste,
Mais il faut que votre âme à ces frayeurs résiste,
La vision de soi peut faire quelque horreur,
Mais non pas vous donner une juste terreur.
Pouvez-vous craindre un mort ? Pouvez-vous craindre un père,
Qui chérit votre époux, que votre époux révère,
Et dont le juste choix vous a donnée à lui
Pour s'en faire en ces lieux un ferme et sûr appui ?


Pauline
Il m'en a dit autant, et rit de mes alarmes,
Mais je crains des Chrétiens les complots, et les charmes,
Et que sur mon époux leur troupeau ramasser
Ne venge tant de sang que mon père a versé.


Stratonice
Leur secte est insensée, impie, et sacrilège,
Et dans son sacrifice use de sortilège ;
Mais sa fureur ne va qu'à briser nos Autels,
Elle n'en veut qu'aux Dieux, et non pas aux Mortels.
Quelque sévérité que sur eux on déploie,
Ils souffrent sans murmure, et meurent avec joie,
Et depuis qu'on les traite en criminels d'État,
On ne peut les charger d'aucun assassinat.


Pauline
Tais-toi, mon père vient.

 

 


ACTE I, SCÈNE IV

Félix - Albin - Pauline - Stratonice

 

Félix
Ma fille, que ton songe
En d'étranges frayeurs ainsi que toi me plonge !
Que j'en crains les effets qui semblent s'approcher !


Pauline
Quelle subite alarme ainsi vous peut toucher ?


Félix
Sévère n'est point mort.


Pauline
Quel mal nous fait sa vie ?


Félix
Il est le favori de l'Empereur Décie,


Pauline
Après l'avoir sauvé des mains des ennemis,
L'espoir d'un si haut rang lui devenait permis.
Le Destin aux grands cœurs si souvent mal propice
Se résout quelquefois à leur faire justice.


Félix
Il vient ici lui-même.


Pauline
Il vient !


Félix
Tu le vas voir.


Pauline
C'en est trop, mais comment le pouvez-vous savoir ?


Félix
Albin l'a rencontré dans la proche campagne,
Un gros de courtisans en foule l'accompagne,
Et montre assez quel est son rang et son crédit.
Mais, Albin, redis-lui ce que ses gens t'ont dit.


Albin
Vous savez quelle fut cette grande journée
Que sa perte pour nous rendit si fortunée,
Où l'Empereur captif, par sa main dégagé
Rassura son parti déjà découragé,
Tandis que sa vertu succomba sous le nombre :
Vous savez les honneurs qu'on fit faire à son Ombre,
Après qu'entre les morts on ne le pu trouver ;
Le Roi de Perse aussi l'avait fait enlever.
Témoin de ses hauts faits, et de son grand courage,
Ce Monarque en voulut connaître le visage,
On le mit dans sa Tente, où tout percer de coups,
Tout mort qu' il paraissait, il fit mille jaloux.
Là bientôt il montra quelque signe de vie,
Ce Prince généreux en eut l'âme ravie,
Et sa joie, en dépit de son dernier malheur,
Du bras qui le causait honora la valeur.
Il en fit prendre soin, la cure en fut secrète,
Et comme au bout d'un mois sa santé fut parfaite,
Il offrit dignités, alliance, trésors,
Et pour gagner Sévère il fit cent vains efforts.
Après avoir comblé ses refus de louange,
Il envoie à Décie en proposer l'échange,
Et soudain l'Empereur, transporté de plaisir
Offre au Perse son frère, et cent Chefs à choisir.
Ainsi revint au camp le valeureux Sévère
De sa haute vertu recevoir le salaire,
La faveur de Décie en fut le digne prix.
De nouveau l'on combat, et nous sommes surpris,
Ce malheur toutefois sert à croître sa gloire,
Lui seul rétablit l'ordre, et gagne la victoire,
Mais si belle, et si pleine, et par tant de beaux faits,
Qu'on nous offre tribut, et nous faisons la paix.
L'Empereur qui lui montre un amour infini,
Après ce grand succès l'envoie en Arménie,
Il vient en apporter la Nouvelle en ces lieux,
Et par un sacrifice en rendre hommage aux Dieux.


Félix
Ô Ciel ! En quel état ma fortune est réduite !


Albin
Voilà ce que j'ai su d'un homme de sa suite,
Et j'ai couru, Seigneur, pour vous y disposer.


Félix
Ah ! Sans doute, ma fille, il vient pour t'épouser.
L'ordre d'un sacrifice est pour lui peu de chose,
C'est un prétexte faux dont l'amour est la cause.


Pauline
Cela pourrait bien être, il m'aimait chèrement.


Félix
Que ne permettra-t-il à son ressentiment ?
Et jusques à quel point ne porte sa vengeance
Une juste colère avec tant de puissance ?
Il nous perdra, ma fille.


Pauline
Il est trop généreux.


Félix
Tu veux flatter en vain un père malheureux,
Il nous perdra, ma fille. Ah ! Regret qui me tue,
De n'avoir pas aimé la vertu toute nue !
Ah ! Pauline, en effet, tu m'as trop obéi,
Ton courage était bon, ton devoir l'a trahi,
Que ta rébellion m'eût été favorable !
Qu'elle m'eût garanti d'un état déplorable !
Si quelque espoir me reste, il n'est plus aujourd'hui
Qu'en l'absolu pouvoir qu'il te donnait sur lui ;
Ménage en ma faveur l'amour qui le possède,
Et d'où provient mon mal fais sortir le remède.


Pauline
Moi, moi ! Que je revoie un si puissant vainqueur,
Et m'expose à des yeux qui me percent le cœur !
Mon père, je suis femme, et je sais ma faiblesse,
Je sens déjà mon cœur qui pour lui s'intéresse,
Et poussera sans doute en dépit de ma foi
Quelque soupir indigne, et de vous, et de moi.
Je ne le verrai point.


Félix
Rassure un peu ton âme.


Pauline
Il est toujours aimable, et je suis toujours femme,
Dans le pouvoir sur moi que ses regards ont eu,
Je n'ose m'assurer de toute ma vertu.
Je ne le verrai point.


Félix
Il faut le voir, ma fille,
Où tu trahis ton père, et toute ta famille.


Pauline
C'est à moi d'obéir, puisque vous commandez,
Mais voyez les périls où vous me hasardez.


Félix
Ta vertu m'est connue.


Pauline
Elle vaincra sans doute,
Ce n'est pas le succès que mon âme redoute,
Je crains ce dur combat et ces troubles puissants
Que fait déjà chez moi la révolte des sens.
Mais puisqu'il faut combattre un ennemi que j'aime,
Souffrez que je me puisse armer contre moi-même,
Et qu'un peu de loisir me prépare à le voir.


Félix
Jusqu'au-devant des murs je vais le recevoir,
Rappelle cependant tes forces étonnées,
Et songe qu'en tes mains tu tiens nos Destinées.


Pauline
Oui, je vais de nouveau dompter mes sentiments,
Pour servir de victime à vos commandements.

 

 

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