Correspondancesde personnages historiques

Polyeucte Martyr

de Pierre Corneille

 

 

Les personnages

La scène se déroule à Mélitène, capitale d'Arménie, dans le Palais de Félix.

 

 

 

Acte I
Acte II
Acte III
Acte IV
Acte V

Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV

Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI

Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V

Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI

Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI

ACTE IV, SCÈNE PREMIÈRE

 

Polyeucte - Cléon
Trois autres Gardes

 

Polyeucte
Gardes, que me veut-on ?


Cléon
Pauline vous demande.


Polyeucte
Ô présence, ô combat que surtout j'appréhende !
Félix, dans la prison j'ai triomphé de toi,
J'ai ri de ta menace, et t'ai vu sans effroi,
Tu prends pour t'en venger de plus puissantes armes,
Je craignais beaucoup moins tes bourreaux que ses larmes.
Seigneur, qui vois ici les périls que je cours,
En ce pressant besoin redouble ton secours.
Et toi qui tout sortant encor de la victoire
Regardes mes travaux du séjour de la gloire,
Cher Néarque, pour vaincre un si fort ennemi,
Prête du haut du Ciel la main à ton ami.
Gardes, oseriez-vous me rendre un bon office,
Non pour me dérober aux rigueurs du supplice,
Ce n'est pas mon dessein qu'on me fasse évader :
Mais comme il suffira de trois à me garder,
L'autre m'obligerait d'aller quérir Sévère,
Je crois que sans péril on peut me satisfaire,
Si j'avais pu lui dire un secret important,
Il vivrait plus heureux, et je mourrais content.


Cléon

Si vous me l'ordonnez, j'y cours en diligence.


Polyeucte
Sévère à mon défaut fera ta récompense,
Va ne perds point de temps, et reviens promptement.


Cléon
Je serai de retour, Seigneur, dans un moment.

 

 


ACTE IV, SCÈNE II

Polyeucte

 

Polyeucte
Source délicieuse en misères féconde,
Que voulez-vous de moi, flatteuses voluptés ?
Honteux attachements de la chair et du Monde,
Que ne me quittez-vous, quand je vous ai quittés ?
Allez honneurs, plaisirs, qui me livrez la guerre,
Toute votre félicité
Sujette à l'instabilité
En moins de rien tombe par terre,
Et comme elle a l'éclat du verre
Elle en a la fragilité.

Ainsi n'espérez pas qu'après vous je soupire,
Vous étalez en vain vos charmes impuissants,
Vous me montrez en vain par tout ce vaste Empire
Les ennemis de Dieu pompeux et florissants ;
Il étale à son tour des revers équitables
Par qui les Grands sont confondus,
Et les glaives qu'il tient pendus
Sur les plus fortunés coupables,
Sont d'autant plus inévitables
Que leurs coups sont moins attendus.

Tigre altéré de sang, Décie impitoyable,
Ce Dieu t'a trop longtemps abandonné les siens,
De ton heureux Destin vois la suite effroyable,
Le Scythe va venger la Perse et les Chrétiens.
Encore un peu plus outre, et ton heure est venue,
Rien ne t'en saurait garantir,
Et la foudre qui va partir,
Toute prête à crever la nue,
Ne peut plus être retenue
Par l'attente du repentir.

Que cependant Félix m'immole à ta colère,
Qu'un rival plus puissant éblouisse ses yeux,
Qu'aux dépens de ma vie il s'en fasse beau-père,
Et qu'à titre d'esclave il commande en ces lieux :
Je consens, ou plutôt j'aspire à ma ruine.
Monde, pour moi tu n'as plus rien,
Je porte en un coeur tout Chrétien
Une flamme toute divine,
Et je ne regarde Pauline
Que comme un obstacle à mon bien.

Saintes douceurs du Ciel, adorables idées,
Vous remplissez un cœur qui vous peut recevoir,
De vos sacrés attraits les âmes possédées
Ne conçoivent plus rien qui les puisse émouvoir.
Vous promettez beaucoup, et donnez davantage,
Vos biens ne sont point inconstants,
Et l'heureux trépas que j'attends
Ne vous sert que d'un doux passage
Pour nous introduire au partage
Qui nous rend à jamais contents.

C'est vous, ô feu divin que rien ne peut éteindre,
Qui m'allez faire voir Pauline sans la craindre.
Je la vois, mais mon cœur d'un saint zèle enflammé
N'en goûte plus l'appas dont il était charmé,
Et mes yeux éclairés des célestes lumières
Ne trouvent plus aux siens leurs grâces coutumières.

 

 


ACTE IV, SCÈNE III

Polyeucte - Pauline
Gardes

 

Polyeucte
Madame, quel dessein vous fait me demander ?
Est-ce pour me combattre, ou pour me seconder,
Cet effort généreux de votre amour parfait
Vient-il à mon secours ? vient-il à ma défaite ?
Apportez-vous ici la haine, ou l'amitié,
Comme mon ennemie, ou ma chère moitié ?


Pauline
Vous n'avez point ici d'ennemi que vous-même,
Seul vous vous haïssez, lorsque chacun vous aime,
Seul vous exécutez tout ce que j'ai rêvé :
Ne veuillez pas vous perdre, et vous êtes sauvé,
À quelque extrémité que votre crime passe
Vous êtes innocent si vous vous faites grâce.
Daignez considérer le sang dont vous sortez,
Vos grandes actions, vos rares qualités ;
Chéri de tout le Peuple, estimé chez le Prince,
Gendre du Gouverneur de toute la Province ;
Je ne vous compte à rien le nom de mon époux,
C'est un bonheur pour moi qui n'est pas grand pour vous ;
Mais après vos exploits, après votre naissance,
Après votre pouvoir, voyez notre espérance,
Et n'abandonnez pas à la main d'un bourreau
Ce qu'à nos justes vœux promet un sort si beau.


Polyeucte
Je considère plus, je sais mes avantages,
Et l'espoir que sur eux forment les grands courages.
Ils n'aspirent enfin qu'à des biens passagers,
Que troublent les soucis, que suivent les dangers,
La Mort nous les ravit, la Fortune s'en joue,
Aujourd'hui dans le trône, et demain dans la boue,
Et leur plus haut éclat fait tant de mécontents
Que peu de vos Césars en ont joui longtemps.
J'ai de l'ambition, mais plus noble, et plus belle,
Cette grandeur périt, j'en veux une immortelle,
Un bonheur assuré, sans mesure, et sans fin,
Au-dessus de l'Envie, au-dessus du Destin.
Est-ce trop l'acheter que d'une triste vie,
Qui tantôt, qui soudain me peut être ravie,
Qui ne me fait jouir que d'un instant qui fuit,
Et ne peut m'assurer de celui qui le suit ?


Pauline
Voilà de vos Chrétiens les ridicules songes,
Voilà jusqu'à quel point vous charment leurs mensonges,
Tout votre sang est peu pour un bonheur si doux,
Mais pour en disposer ce sang est-il à vous ?
Vous n'avez pas la vie ainsi qu'un héritage,
Le jour qui vous la donne en même temps l'engage
Vous la devez au Prince, au Public, à l'État.


Polyeucte
Je la voudrais pour eux perdre dans un combat,
Je sais quel en est l'heur, et quelle en est la gloire ;
Des aïeux de Décie on vante la mémoire,
Et ce nom, précieux encore à vos Romains
Au bout de six cents ans lui met l'Empire aux mains.
Je dois ma vie au Peuple, au Prince, à sa Couronne,
Mais je la dois bien plus au Dieu qui me la donne :
Si mourir pour son Prince est un illustre sort,
Quand on meurt pour son Dieu, quelle sera la mort ?


Pauline
Quel Dieu !


Polyeucte
Tout beau, Pauline, il entend vos paroles,
Et ce n'est pas un Dieu comme vos Dieux frivoles,
Insensibles et sourds, impuissants, mutilés,
De bois, de marbre, ou d'or, comme vous les voulez.
C'est le Dieu des Chrétiens, c'est le mien, c'est le vôtre,
Et la Terre, et le Ciel n'en connaissent point d'autre.


Pauline
Adorez-le dans l'âme et n'en témoignez rien.


Polyeucte
Que je sois tout ensemble Idolâtre et Chrétien !


Pauline
Ne feignez qu'un moment, laissez partir Sévère,
Et donnez lieu d'agir aux bontés de mon père.


Polyeucte
Les bontés de mon Dieu sont bien plus à chérir.
Il m'ôte des périls que j'aurais pu courir,
Et sans me laisser lieu de tourner en arrière
Sa faveur me couronne entrant dans la carrière,
Du premier coup de vent il me conduit au port,
Et sortant du Baptême il m'envoie à la mort.
Si vous pouviez comprendre, et le peu qu'est la vie,
Et de quelles douceurs cette mort est suivie...
Mais que sert de parler de ces trésors cachés
À des esprits que Dieu n'a pas encor touchés ?


Pauline
Cruel, car il est temps que ma douleur éclate,
Et qu'un juste reproche accable une âme ingrate,
Est-ce là ce beau feu ? Sont-ce là tes serments ?
Témoignes-tu pour moi les moindres sentiments ?
Je ne te parlais point de l'état déplorable
Où ta mort va laisser ta femme inconsolable ;
Je croyais que l'amour t'en parlerait assez,
Et je ne voulais pas de sentiments forcés.
Mais cette amour si ferme et si bien méritée
Que tu m'avais promise, et que je t'ai portée,
Quand tu me veux quitter, quand tu me fais mourir,
Te peut-elle arracher une larme, un soupir ?
Tu me quittes, ingrat, et le fais avec joie,
Tu ne la caches pas, tu veux que je la voie ;
Et ton cœur insensible à ces tristes appas
Se figure un bonheur où je ne serai pas !
C'est donc là le dégoût qu'apporte l'Hyménée ?
Je te suis odieuse après m'être donnée !


Polyeucte
Hélas !


Pauline
Que cet hélas a de peine à sortir !
Encor s'il commençait un heureux repentir,
Que tout forcé qu'il est, j'y trouverais de charmes !
Mais courage, il s'émeut, je vois couler des larmes.


Polyeucte
J'en verse, et plût à Dieu qu'à force d'en verser
Ce cœur trop endurci se pût enfin percer.
Le déplorable état où je vous abandonne
Est bien digne des pleurs que mon amour vous donne,
Et si l'on peut au Ciel sentir quelques douleurs,
J'y pleurerai pour vous l'excès de vos malheurs.
Mais si dans ce séjour de gloire et de lumière
Ce Dieu tout juste et bon peut souffrir ma prière,
S'il y daigne écouter un conjugal amour,
Sur votre aveuglement il répandra le jour.
Seigneur, de vos bontés il faut que je l'obtienne,
Elle a trop de vertus pour n'être pas Chrétienne,
Avec trop de mérite il vous plut la former,
Pour ne vous pas connaître et ne vous pas aimer,
Pour vivre des Enfers esclave infortunée,
Et sous leur triste joug mourir comme elle est née.


Pauline
Que dis-tu, malheureux ? Qu'oses-tu souhaiter ?


Polyeucte
Ce que de tout mon sang je voudrais acheter.


Pauline
Que plutôt...


Polyeucte
C'est en vain qu'on se met en défense,
Ce Dieu touche les cœurs lorsque moins on y pense,
Ce bienheureux moment n'est pas encor venu,
Il viendra, mais le temps ne m'en est pas connu.


Pauline
Quittez cette chimère, et m'aimez.


Polyeucte
Je vous aime
Beaucoup moins que mon Dieu, mais bien plus que moi-même.


Pauline
Au nom de cet amour ne m'abandonnez pas.


Polyeucte
Au nom de cet amour daignez suivre mes pas.


Pauline
C'est peu de me quitter, tu veux donc me séduire ?


Polyeucte
C'est peu d'aller au Ciel, je vous y veux conduire.


Pauline
Imaginations.


Polyeucte
Célestes vérités.


Pauline
Étrange aveuglement.


Polyeucte
Éternelles clartés.


Pauline
Tu préfères la mort à l'amour de Pauline !


Polyeucte
Vous préférez le Monde à la bonté divine !


Pauline
Va cruel, va mourir, tu ne m'aimas jamais.


Polyeucte
Vivez heureuse au Monde et me laissez en paix.


Pauline
Oui, je t'y vais laisser, ne t'en mets plus en peine,
Je vais...

 

 

 

ACTE IV, SCÈNE IV

Polyeucte - Pauline - Sévère - Fabian
Gardes

 

Pauline
Mais quel dessein en ce lieu vous amène,
Sévère ? Aurait-on cru qu'un cœur si généreux
Pût venir jusqu'ici braver un malheureux ?


Polyeucte
Vous traitez mal, Pauline, un si rare mérite,
À ma seule prière il rend cette visite.
Je vous ai fait, Seigneur, une incivilité,
Que vous pardonnerez à ma captivité.
Possesseur d'un trésor dont je n'étais pas digne
Souffrez avant ma mort que je vous le résigne,
Et laisse la vertu la plus rare à nos yeux
Qu'une femme jamais pût recevoir des Cieux,
Aux mains du plus vaillant, et du plus honnête homme,
Qu'ait adoré la Terre, et qu'ait vu naître Rome.
Vous êtes digne d'elle, elle est digne de vous,
Ne la refusez pas de la main d'un époux,
S'il vous a désunis, sa mort vous va rejoindre,
Qu'un feu jadis si beau n'en devienne pas moindre,
Rendez-lui votre cœur, et recevez sa foi,
Vivez heureux ensemble, et mourez comme moi,
C'est le bien qu'à tous deux Polyeucte désire.
Qu'on me mène à la mort, je n'ai plus rien à dire.
Allons, Gardes, c'est fait.

 

 


ACTE IV, SCÈNE V

Sévère - Pauline - Fabian

 

 

Sévère
Dans mon étonnement,
Je suis confus pour lui de son aveuglement ;
Sa résolution a si peu de pareilles
Qu'à peine je me fie encore à mes oreilles.
Un cœur qui vous chérit, (mais quel cœur assez bas
Aurait pu vous connaître, et ne vous chérir pas ? )
Un homme aimé de vous, sitôt qu'il vous possède,
Sans regret il vous quitte, il fait plus, il vous cède,
Et comme si vos feux étaient un don fatal
Il en fait un présent lui-même à son rival !
Certes ou les Chrétiens ont d'étranges manies,
Où leurs félicités doivent être infinies,
Puisque pour y prétendre ils osent rejeter
Ce que de tout l'Empire il faudrait acheter.
Pour moi, si mes destins, un peu plus tôt propices
Eussent de votre Hymen honoré mes services,
Je n'aurais adoré que l'éclat de vos yeux,
J'en aurais fait mes Rois, j'en aurais fait mes Dieux ;
On m'aurait mis en poudre, on m'aurait mis en cendre
Avant que...


Pauline
Brisons là, je crains de trop entendre,
Et que cette chaleur qui sent vos premiers feux
Ne pousse quelque suite indigne de tous deux.
Sévère, connaissez Pauline toute entière.
Mon Polyeucte touche à son heure dernière,
Pour achever de vivre il n'a plus qu'un moment,
Vous en êtes la cause, encor qu'innocemment.
Je ne sais si votre âme à vos désirs ouverte
Aurait osé former quelque espoir sur sa perte ;
Mais sachez qu'il n'est point de si cruels trépas,
Où d'un front assuré je ne porte mes pas,
Qu'il n'est point aux Enfers d'horreurs que je n'endure,
Plutôt que de souiller une gloire si pure,
Que d'épouser un homme après son triste sort,
Qui de quelque façon soit cause de sa mort,
Et si vous me croyiez d'une âme si peu saine,
L'amour que j'eus pour vous tournerait toute en haine.
Vous êtes généreux, soyez-le jusqu' au bout ;
Mon père est en état de vous accorder tout,
Il vous craint, et j'avance encor cette parole,
Que s'il perd mon époux, c'est à vous qu'il l'immole.
Sauvez ce malheureux, employez-vous pour lui,
Faites-vous un effort pour lui servir d'appui.
Je sais que c'est beaucoup que ce que je demande,
Mais plus l'effort est grand, plus la gloire en est grande ;
Conserver un rival dont vous êtes jaloux,
C'est un trait de vertu qui n'appartient qu'à vous ;
Et si ce n'est assez de votre renommée,
C'est beaucoup qu'une femme autrefois tant aimée,
Et dont l'amour peut-être encor vous peut toucher,
Doive à votre grand cœur ce qu'elle a de plus cher.
Souvenez-vous enfin que vous êtes Sévère.
Adieu, résolvez seul ce que vous voulez faire,
Si vous n'êtes pas tel que je l'ose espérer,
Pour vous priser encor je le veux ignorer.

 

 

 

ACTE IV, SCÈNE VI

Sévère - Fabian

 

 

Sévère
Qu'est-ce-ci, Fabian, quel nouveau coup de foudre
Tombe sur mon bonheur et le réduit en poudre ?
Plus je l'estime près, plus il est éloigné,
Je trouve tout perdu quand je crois tout gagné,
Et toujours la Fortune, à me nuire obstinée
Tranche mon espérance aussitôt qu'elle est née.
Avant qu'offrir des vœux je reçois des refus,
Toujours triste, toujours et honteux et confus,
De voir que lâchement elle ait osé renaître,
Qu'encor plus lâchement elle ait osé paraître,
Et qu'une femme enfin dans l'infélicité
Me fasse des leçons de générosité.
Votre belle âme est haute autant que malheureuse,
Mais elle est inhumaine autant que généreuse,
Pauline, et vos douleurs avec trop de rigueur
D'un amant tout à vous tyrannisent le cœur.
C'est donc peu de vous perdre, il faut que je vous donne,
Que je serve un rival lorsqu'il vous abandonne,
Et que par un cruel et généreux effort
Pour vous rendre en ses mains je l'arrache à la mort.


Fabian
Laissez à son destin cette ingrate famille,
Qu'il accorde s'il veut le père avec la fille,
Polyeucte et Félix, l'épouse avec l'époux.
D'un si cruel effort quel prix espérez-vous ?


Sévère
La gloire de montrer à cette âme si belle,
Que Sévère l'égale, et qu'il est digne d'elle,
Qu'elle m'était bien due, et que l'ordre des Cieux
En me la refusant m'est trop injurieux.


Fabian
Sans accuser le Sort ni le Ciel d'injustice,
Prenez garde au péril qui suit un tel service.
Vous hasardez beaucoup, Seigneur, pensez-y bien,
Quoi, vous entreprenez de sauver un Chrétien ?
Pouvez-vous ignorer pour cette secte impie
Quelle est et fut toujours la haine de Décie ?
C'est un crime vers lui si grand, si capital,
Qu'à votre faveur même il peut être fatal.


Sévère
Cet avis serait bon pour quelque âme commune.
S'il tient entre ses mains ma vie et ma fortune,
Je suis encor Sévère, et tout ce grand pouvoir
Ne peut rien sur ma gloire, et rien sur mon devoir.
Ici l'honneur m'oblige, et j' y veux satisfaire ;
Qu'après le Sort se montre ou propice, ou contraire,
Comme son naturel est toujours inconstant,
Périssant glorieux je périrai content.
Je te dirai bien plus, mais avec confidence,
La secte des Chrétiens n'est pas ce que l'on pense,
On les hait, la raison, je ne la connais point,
Et je ne vois Décie injuste qu'en ce point.
Par curiosité j'ai voulu les connaître,
On les tient pour sorciers dont l'Enfer est le maître,
Et sur cette croyance on punit du trépas
Des mystères secrets que nous n'entendons pas.
Mais Cérès Éleusine et la Bonne Déesse
Ont leurs secrets comme eux, à Rome, et dans la Grèce ;
Encore impunément nous souffrons en tous lieux,
Leur Dieu seul excepté, toutes sortes de Dieux ;
Tous les Monstres d'Égypte ont leurs Temples dans Rome,
Nos aïeux à leur gré faisaient un Dieu d'un homme,
Et leur sang parmi nous conservant leurs erreurs,
Nous remplissons le Ciel de tous nos Empereurs ;
Mais à parler sans fard de tant d'apothéoses,
L'effet est bien douteux de ces Métamorphoses.
Les Chrétiens n'ont qu'un Dieu, maître absolu de tout,
De qui le seul vouloir fait tout ce qu'il résout :
Mais si j'ose entre nous dire ce qui me semble,
Les nôtres bien souvent s'accordent mal ensemble,
Et me dû leur colère écraser à tes yeux,
Nous en avons beaucoup pour être de vrais Dieux.
Enfin chez les Chrétiens les mœurs sont innocentes,
Les vices détestés, les vertus florissantes,
Ils font des vœux pour nous qui les persécutons ;
Et depuis tant de temps que nous les tourmentons,
Les a-t-on vus mutins ? Les a-t-on vus rebelles ?
Nos Princes ont-ils eu des soldats plus fidèles ?
Furieux dans la guerre, ils souffrent nos bourreaux,
Et lions au combat ils meurent en agneaux.
J'ai trop de pitié d'eux pour ne les pas défendre.
Allons trouver Félix, commençons par son gendre,
Et contentons ainsi d'une seule action,
Et Pauline, et ma gloire, et ma compassion.

 

 

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